5. Visite d’un Logis Lorrain

Pénétrons dans une maison de la rue de la « Misère », dans celle de mes parents, par exemple. En premier lieu, visitons les communs; à l’extrémité d’un long couloir qui débouchait dans une cour qu’il fallait traverser pour entrer dans une remise où, dans un angle clos, l’on découvrait un cochon qui grognait et attendait sa pitance.

Le long des deux autres murs, étaient rangées « les baraques » à lapins grillagées. Au-dessus de certaines cases étaient marquées des dates qui signifiaient les futures naissances. Dans un angle opposé à l’écurie du cochon, se dressait un four en briques réfractaires où tous les huit jours, ma mère cuisait le pain et différentes tartes et gâteaux (mirabelles et quetsches).

Revenons dans la maison, où, à l’entrée, se dressait une porte donnant dans la pièce principale; celle-ci était grande, carrée. La cheminée à l’âtre, monumentale, attirait le regard. Elle ne servait plus en tant que telle, elle avait été obstruée à sa base, ne laissant passer qu’un corps du fourneau, qui était installé sous la cheminée. Celui-ci se présentait avec de hautes pattes. Sur le dessus, se trouvaient deux orifices bouchés par de multiples « ronds » que l’on ajoutait ou soustrayait, suivant l’importance de la température désirée pour cuire les aliments et la nourriture du cochon.

J’ai souvenance que ma mère munie d’ une brosse à cirer les chaussures, retournait les « ronds et frottait la brosse contre, pour obtenir un peu de suie pour faire reluire les brodequins, dans le but d’éviter d’acheter du cirage.

Ce fourneau, en fonte moulée, comportait un four pour cuire la pâtisserie et servait quand le four de la remise n’était pas allumé. Il était utilisé également, lorsque, assis devant l’entrée, la porte ouverte en hiver, chacun pouvait glisser ses pieds, pour les réchauffer (mais gare aux engelures!) Sur le côté avant, se trouvait une autre porte qui, lorsqu’elle était ouverte, découvrait une grille de tirage apportant l’air nécessaire à la combustion des bûches. Ce fourneau ne brûlait que du bois. Cette grille, pendant la marche du foyer, projetait une lumière vive qui éclairait une partie de la pièce. Cet éclairage particulier faisait mon bonheur car il ajoutait une touche de vie et par la grille illuminée, nous entendions les plaintes du bois dévoré par les flammes. Cette grille, à travers les barreaux qui la composaient, me permettait d’introduire au coeur du foyer incandescent le crochet du fourneau en fer, que je laissais porter au rouge, sur le tiers de sa longueur. Ensuite, j’allais, muni de ce crochet, dans le coin le plus sombre de la pièce où je l’agitais à grande vitesse en tous sens. Je formais des ronds, des arabesques, tout ceci du plus bel effet. Je laissais libre cours à mon imagination pour ce genre de distraction jusqu’au moment où le fer n’étant plus assez chaud, il me fallait recommencer l’opération de chauffe.

Ma mémoire cerne une phase opérationnelle de ma mère, liée au fourneau : celle-ci grillait dans un plateau à tarte, de l’orge, afin de remplacer le café qui coûtait très cher. Ce fourneau était l’unique moyen de cuire les aliments ; en hiver, cela était une situation normale, mais en été, pendant la canicule, cela devenait insupportable par l’excès de chaleur, répandue dans la pièce.

Autre lacune de taille : l’éclairage. La fée électrique n’existait pas encore, tout au moins dans ces maisons d’ouvriers. Le seul moyen d’éclairage que nous possédions était la lampe à pétrole qui dégageait une pâle lumière et surtout une mauvaise odeur.

Dans un angle de la pièce se trouvait la « pierre à eau », ancêtre de l’évier moderne. Cette pierre taillée dans la masse, comportait une légère bordure et un coulant qui à travers un trou dans le mur, emmenait les eaux usées dans le caniveau. Elle s’entretenait en frottant une pierre plus dure sur sa surface. Il n’y avait pas de robinet d’amenée d’eau. Il fallait aller à la fontaine du lavoir chercher cet élément liquide indispensable, avec un broc (récipient conique, muni d’une anse d’une capacité de dix litres environ). A côté de la pierre à eau, la fenêtre donnait dans la rue.

Deux chambres prolongeaient la pièce principale. Les meubles étaient rudimentaires mais massifs donc robustes.

Les toilettes ? Nenni ! Rien dans la maison. Au bout du jardin, se dressait une sorte de guérite en bois, dans laquelle les occupants laissaient parler dame nature. Imaginez, satisfaire ses besoins naturels, la nuit sans lumière, quand il gelait à moins quinze degrés !!

Au-dessus de l’appartement, se situait un vaste grenier pour loger le foin, la paille et le bois de chauffage. En-dessous des pièces, se trouvait la cave pour loger, légumes et tonneaux pour le vin et aussi des bonbonnes de verre contenant « la goutte », eau-de-vie de distillation des mirabelles. Sur des rayonnages, s’alignaient des conserves de petits pois, de haricots, de fruits, etc …

Voici campés tous les ingrédients pour mieux cerner la vie de ces pauvres gens.

Cependant, il existait un élément positif, les gens se recherchaient, s’épaulaient et formaient une grande famille. Ils étaient très proches les uns des autres et cette cohabitation, avec ses heurts, ses joies, ses partages, était très bénéfique et leur faisait chaud au coeur.

Vers la fin de l’été, dans la rue, s’entassaient des tas de bois qu’il fallait scier avant de les monter au grenier : le père Louis muni de sa « belle-mère » (scie), comme il disait, s’employait à scier ce bois pour les gens. Nous les gamins, aidions les vieilles personnes à rentrer le bois scié, sur les greniers. Les gens s’aidaient aux différentes tâches saisonnières.

Lorsqu’une personne, rentrant des champs, s’apercevait que son feu était « crevé », elle se munissait de sa pelle à forme demi-ronde et demandait à la voisine l’autorisation de prélever de la braise dans son fourneau, afin de rallumer son foyer.

Toutes ces manières de faire, entretenaient « la présence ». Personne ne souffrait de solitude.

Il est un souvenir très précis qui me revient à l’esprit et que je me dois de narrer, tant avec le recul, cela peut paraître déconcertant. Le soir, avant que la nuit enveloppe toutes choses, les dames sortaient dans la rue, écartaient les jambes au-dessus du caniveau, tiraient leur jupe ample à deux mains, vers l’avant et vers l’arrière, faisaient leur besoin urinaire. Ceci se faisait en position debout, bien sûr !… Le passage d’une personne à leur hauteur, ne les troublait pas outre mesure : elles continuaient à se soulager et engageaient même la conversation pendant l’action. Cela semblait si naturel ! . Les hommes, eux, allaient se soulager contre le mur des jardins en face de leur habitation.

Tout ceci bien sûr, n’était pas très salubre

Pour en revenir aux dames, elles portaient à l’époque une culotte très échancrée entre les jambes qui avait pour nom « culotte bateau ». Comprenne qui pourra !… Nous les jeunes, nous connaissions bien ce vêtement intime, car il trônait, tel un oriflamme, sur les fils à linge et cela nous faisait pouffer de rire. Je me souviens du père Vincent, grand vieillard, qui passait la journée sur son banc, le menton appuyé sur sa canne. Passant près de lui un jour, il m’interpela et m’étant approché il me dit avec un sourire malicieux  » hé, petiot, regarde dans le jardin de la Joséphine, elle a mis ses « sacs à jambons à sécher ! » Le vieux était tout heureux de cette appellation et voulait m’en faire profiter : Bien sûr, il s’agissait des fameuses « culottes bateau ». Son épouse qui avait tout entendu, passa la tête par la fenêtre et me dit « Eugène, n’écoute pas ses bêtises, c’est un vieux fou ! »

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