On a « Reciné » chez le Popaul PINOT

Le café Jenot à VandièresC’est Saint Géréon, le patron de la paroisse, un martyr d’une légion romaine, exécuté à Cologne, une Géréonstrasse dans la ville et dans l’église de V…, un tableau représente la décapitation des soldats convertis et une statue d’un Géréon (ou de Vercingétorix ? …)

Alors, à V… fin septembre, quand les mirabelles sont ramassées, confiturées ou mijotent dans leur jus avant la distillation hivernale, quand le houblon est touraillé et attend le bon vouloir des brasseries, quant il ne reste que les betteraves dans la vallée et les raisins le long des coteaux, on s’accorde une petite pause.

Bal et manèges occupent la place de la mairie et ses abords, les oncles et les cousins sont attendus et un vent de panique passe sur la basse-cour : oies, canards, dindons, coqs, qui va passer à la casserole ?

Il y aura de la tourte bien entendu, avec une bonne migaine et de la tarte aux amandes, c’est pas tous les jours la fête, on laissera l’Oberlin de Chatillon pour un petit Gris de Prény, du Bourgogne même et, bien entendu, un choix entre mirabelle, quetsche, marre ou kirsch. S’il ne reste pas un peu de prunelle des hauts de Mervaux.

Les jeunes, c’est le bal. Le bal le dimanche, ouvert à tous les étrangers du canton et même au delà, avec souvent sa bagarre traditionnelle. Bal plus intime le lundi, entre « gossas » (c’est le surnom des habitants de V…)

Si on a bien mangé le dimanche, l’estomac est plus libre le lundi. Vers deux/trois heures du matin, il y a un petit creux dans la fraicheur de la sortie du bal. Si on allait « reciner » ?

Popaul travaille à la SNCF. Ses copains ? Roger est à la ferme de ses parents, André aussi, Léon est dans un bureau et René, le « quelo » d’une veuve de guerre, est en permission, en uniforme « bleu-cerise » à liseré jaune des chasseurs à pieds.

Quoi qu’on fait ? Chez qui qu’on va ?

C’est Popaul qui invite : « venez chez nous, mes parents couchent derrière, au dessus de la chambre à four, ils n’entendront rien… »

Sitôt dit, sitôt fait et les cinq copains s’installent dans la cuisine, sur la rue.

Le garde-manger en prend un sérieux coup, la couronne de quatre livres y passe presque et c’est unVandières la route de Pagny à Pont à Mousson va-et-vient entre la cave du père Pinot et la cuisine de la Mélie.

Les paupières deviennent lourdes quand les estomacs sont garnis et les jambes fatiguées. Popaul va vous réveiller çà une dernière fois avec une petite gnole du pays, une vraie celle là.

La bouteille, extirpée de l’armoire où elle était bien cachée derrière une pile de camisoles, voit son niveau baisser mais çà ne réveille pas beaucoup les copains qui trouvent même que : « ta mirabelle, elle est pas fameuse – où c’est qu’il la fait distiller ton père ? – y faudra qu’il vérifie son alambic, ya des fuites dans le serpentin, sûrement… »

Un peu déçu mais satisfaits quand même, nos compagnons se séparent, pas trop bruyamment, pour ne pas réveiller le quartier, et s’en vont chacun chez eux, par les rues que le jour naissant dore déjà.

Popaul, resté seul, range le plus gros de la vaisselle, surtout les bouteilles vides et s’en va se coucher.

Heureusement, aujourd’hui mardi, c’est encore un peu la fête, en famille cette fois, avec polka des dames, des belles-mères, danse du coq, du tapis et du balai, etc…

La Mélie, le matin trouve un beau taudis à ranger, malgré les précautions de Popaul et, au milieu de la table, la bouteille d’eau de Lourdes, presque vide; de l’eau que la tante Maria, sœur de la Sainte Enfance, a rapporté de son dernier pèlerinage…

Jean DUTREY

Note 1 : Cette histoire authentique est racontée par Jean MOISSETTE (1917-1995) sous son pseudonyme de guerre « Jean Dutrey ». Le Trey étant le ruisseau qui traverse Vandières.

Il parle de V… pour Vandières (M&M) sans citer le village, à l’époque où il était encore conseiller municipal de Villers s/ Marne.

Note 2 : Migaine : en patois lorrain : pâte à base d’oeufs et de crème servant à la confection de la quiche.

Note 3 : « Reciné » vient peut-être du latin « recinia », de recinere : chanter de nouveau ?

SourceLa Revue Populaire de Lorraine.

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