Maladies du peuple en 1750

Une quatrième cause, qui influe sur tout le monde, mais plus cependant sur le laboureur, c’est l’inconstance des tems. Nous passons souvent tout-à-coup plusieurs fois par jour, du chaud au froid, et du froid au chaud. C’est là ce qui rend les maladies catarrhales et rhumatismales si fréquentes. La grande précaution qu’on doit avoir, c’est d’être ordinairement un peu plus vêtu que la saison ne l’exige, de prendre les habits d’hiver de bonne heure en Automne, et de ne pas se presser de les quitter au printemps. Les ouvriers qui se déshabillent pendant le tems du travail, doivent avoir soin de ne quitter leurs habits, que plus d’une heure aprés le lever du soleil, et de les remettre le soir en se retirant, ou mieux encore au coucher du soleil. Les variations dans la température de l’air, ou les changemens du chaud au froid et à l’humide, qui sont très fréquents et subits dans ce pays-ci, doivent faire suivre aux Ouvriers de tout genre, même à ceux qui sont sédentaires, le conseil que l’on donne ici sur les habillemens : cela est encore plus important dans les lieux où des rivières, des bois, des montagnes entretiennent une humidité considérable, et où les matinées et les soirées sont froides et humides en tout tems. Ceux qui, par négligence, se contentent de les remporter perchés sur leurs outils, s’en trouvent quelquefois trés mal. Il y a des endroits, où des montagnes, des bois, des eaux stagnantes et corrompues entretiennent une humidité, et rendent l’air très malsain; c’est la où il est plus nécessaire que par tout ailleurs de se couvrir, et de ne sortir que pendant les heures auxquelles le soleil est sur l’horizon, pour éviter, s’il est possible, les fièvres d’accès, et autres maladies qui règnent sans relâche dans de pareilles habitations. Qu’on se garde surtout de dormir à l’air; cette imprudence est mortelle.

Ces variations promptes amènent souvent des ondées de pluie, et même de pluie froide, au milieu du jour le plus chaud; et l’ouvrier, baigné dans une sueur chaude, est tout-à-coup trempé dans l’eau fraiche; ce qui occasionne les mêmes maux que le passage prompt du chaud au froid, et exige les mêmes remèdes. Si le soleil ou un air chaud revient d’abord, il n’y a pas grand mal; si le froid dure, souvent plusieurs en sont incommodés.

Un voyageur est quelquefois mouillé en route, sans pouvoir l’empêcher; le mal n’est pas fort grand, si peu de temps après, il quitte ses habits : mais j’ai vu des pleurésies mortelles, pour avoir négligé ces précautions. Quand on a eu le corps ou les jambes mouillés, il n’y a rien de plus utile, que de se laver avec de l’eau tiède, ou du moins de se frotter devant le feu avec des linges secs et fort chauds. Quand il n’y a eu que les jambes mouillées un bain tiède de jambes est très-utile. J’ai guéri radicalement des personnes sujettes à avoir des coliques violentes, toutes les fois qu’elles avoient eu les pieds mouillés, en leur donnant ce conseil. Le bain est encore plus efficace, si l’on fait fondre dans l’eau un peu de savon.

La cinquième cause à laquelle on ne pense guère, et qui produit en effet des accidens moins violens, mais qui nuit cependant très réellement, c’est l’usage ordinaire, dans presque tous les Villages, d’avoir les courtines ou fumiers précisément dessous les fenêtres : il s’en exalent continuellement des vapeurs corrompues, qui, à la longue, ne peuvent que nuire et contribuer à produire des maladies putrides. Ceux qui sont accoutumés à cette odeur, ne s’en aperçoivent plus; mais la cause n’en agit pas moins et ceux qui n’y sont pas accoutumés, jugent de toute la force de l’impression.

Il y a des Villages dans lesquels, après que les courtines ou fumiers sont enlevés, on conserve des mares dans la même place. L’effet en est encore plus dangereux; parce que cette eau corrompue, qui croupit pendant toutes les chaleurs, laisse exhaler ses vapeurs avec plus de facilité, et plus abondamment que les fumiers. Étant allé à Pully le grand en 1759, à l’occasion d’une fièvre putride épidémique, qui y faisoit des ravages, je sentis en traversant le village, l’infection de ces mares, et je ne pus pas douter qu’elles ne fussent la principale cause de cette maladie, et d’une semblable, qui y avoit régné cinq ans auparavant; le village est d’ailleurs dans une exposition saine. Il seroit à souhaiter qu’on prévient ces accidens en renonçant aux mares, ou du moins en les éloignant, ainsi que les fumiers, le plus qu’il est possible du lieu que l’on habite, et où l’on couche.

L’on peut joindre à cette cause, le peu de soin que le paysan à d’aérer sa chambre. L’on sait qu’un air trop renfermé, occasionne les fièvres malignes les plus fâcheuses; et le paysan ne respire jamais chez lui, qu’un air de cette espèce. Il y a de  trés petites chambres, qui renferment jour et nuit, le père, la mère, sept ou huit enfans et quelques animaux, qui ne s’ouvrent jamais pendant six mois de l’année, et très rarement les six autres. J’ai trouvé l’air si mauvais, dans plusieurs de ces chambres, que je suis persuadé, que si ceux qui les habitent n’alloient pas souvent au grand air, ils périroient tous en peu de tems : on y voit presque par-tout de la moisissure qui est un indice de corruption. Il est aisé de prévenir les maux que cette cause produit, en faisant deux croisées opposées, ou une seule, mais qui se trouve vis-à-vis de la porte, et en les ouvrant journellement pour aérer la chambre. Cette précaution si simple auroit les plus heureux effets.

Comments are closed.