3. Les Habitants de Montauville

Deux catégories d’habitants demeuraient en ces lieux: ceux qui comme on disait à l’époque, avaient « du bien au soleil » et « les petites gens », souvent des ouvriers d’usine.

Les premiers étaient maraîchers et vignerons et depuis des temps immémoriaux, cultivaient la terre et vivaient du produit de la vente de leurs récoltes. Le samedi, ils se rendaient sur le marché de Pont à Mousson, leur charette bien remplie et vendaient leurs légumes.
Les bonnes années, ces gens pouvaient espérer mettre dans leur « bas de laine » quelques pièces jaunes (pas du jaune de notre époque !) C’était, disons le, la catégorie la plus aisée. La plupart étaient propriètaires de leur maison, des dépendances et des terrains.

Les second étaient surtout des ouvriers d’usine. Une cinquantaine d’années auparavant, était venue s’établir à Pont à Mousson, une fabrique de tuyaux et raccords de voiries à partir de fonte liquide coulée au pied du haut fourneau. Cette implantation était motivée par la découverte de minerai de fer, à Marbache. Cette entreprise commençait à connaître la notorièté : l’Europe entière et même l’Amérique centrale (Mexique) étaient parmi ses clients.
La vie professionnelle, dans cette usine, était particulièrement pénible, surtout pour les « obscurs », les sans grade. Certains chantiers avaient une fâcheuse réputation de « crève-homme » : Laissons parler un témoin, en l’occurence, mon père.

Le chantier des fosses : « j’étais affecté à casser les noyaux en terre donnant l’empreinte intérieur à la tête des tuyaux : les emboitements. Cette opération s’éxécutait lorsque les tuyaux venaient d’être coulés verticalement, c’est-à-dire quand le métal était rouge. Tous ces tuyaux roulaient sur des rails, à une hauteur d’un mètre. Entre la tête du tuyaux et le mur du bâtiment, celà formait un couloir d’à peine deux mètres de large. Dans ce couloir, l’ouvrier se trouvait confiné et exposé à une chaleur suffocante. Quelque soit le temps, hiver comme été, l’ouvrier travaillait torse nu, exposé également à une forte densité de poussières, qu’il ne manquait pas d’inhaler ».
Résultats : poussières, températures exessives, transpiration, formaient du marais sur le dos de l’éxécutant. Les poils sur le visage et la poitrine était grillés et les cas de « silicose (surcharge de particules de silice dans les poumons) étaient très nombreux.
En général, les ouvriers proposés à cette besogne ne faisaient pas de « vieux os », d’autant que la tuberculose faisait aussi des ravages à cette époque.

La dangerosité du travail sur tous les chantiers est également à souligner. Un exemple parmi d’autres : au pied du haut fourneau, on recueillait la fonte dans des poches garnies de réfractaire que l’on chargeait sur les wagonnets à plateforme. Cette fonte liquide était ensuite dispatchée dans les différents ateliers de production.
Ces wagonnets étaient tractés par des chevaux et lorsque les poches étaient trop remplies, il arrivait que l’excès de fonte, lors de secousses sur les aiguillages ou sur les raccords de rails, tombe dans les flaques d’eau, le long de la voie. Il s’ensuivait de fortes explosions et des projections de métal en fusion, dans un rayon de plusieurs métres. Les pauvres chevaux en avaient la croupe brûlée et souffraient mille morts. Les conducteurs de chevaux étaient aussi souvent arrosés et leurs vêtements prenaient feu.

Pour la production de pièces de voirie, les ouvriers travaillaient à la tâche : un certain nombre de pièces était défini pour une journée de travail et seules comptait les pièces correctement moulées (les rebuts, bocages, n’étaient pas payés). Certains jours, les membres de la famille du mouleur, pénétraient dans l’usine pour venir l’aider. Cet état de fait était toléré par les directeurs.

Ces témoignages m’ont été rapportés par d’anciens ouvriers, survivants de cette époque. Ils ont même ajouté que lorsque les moules étaient prêts, les mouleurs devaient faire « la queue » pour obtenir la fonte liquide et qu’il arrivait parfois de ces derniers se battaient pour faire respecter leur place. Aberrant !!

Personnellement, je me souviens de la réflexion d’une tante issue d’un milieu bourgeois parisien et dont le mari occupait une place importante au sein de l’administration de cette socièté. Cette Personne avait eu l’occasion de visiter certains ateliers de l’usine et nous avait déclaré : « les femmes de ces martyrs du travail, qui dépensent l’argent, si péniblement gagné, d’une manière inconsidérée, sont des assassins ».
Dans cette réflexion, elle résumait et associait les faibles salaires, la grande pénibilité, les journées trop longues, la dangerosité et les conditions insalubres.
Le 31 janvier 1900, le gouvernement d’alors, votait une loi limitant la durée effective du travail des femmes et des enfants à … onze heures par jours !!

Dans cette nouvelle industrie, les syndicats n’existaient pas encore; les maitres de forges étaient tout puissants. Aucune mesure n’était prise pour améliorer la salubrité des ateliers. A l’issue de sa journée de travail, l’ouvrier se lavait dans un seau, même les vestiaires n’existaient pas.
Les accidents de travail étaient nombreux et parfois mortels, laissant des veuves et des orphelins et aucune mesure sociale n’existait pour suppléer l’absence ou le handicap du chef de famille.
Aucune aide familiale, concernant le nombre d’enfant … C’était un état souvent voisin de la misère, malgré une somme de travail considérable.

Il est arrivé que dans certaines usines, devant des conditions de travail semblables, les ouvriers refusent de travailler. Résultats : le maitre de forge en référait au préfet qui envoyait la troupe et qui parfois, hélas, tirait sur la foule (« Germinal n’était pas si loin »)
Que dire alors de cette classe ouvrière, malmenée de si triste façon et qui devait être envoyée quelques années plus tard dans l’enfer de Verdun, où d’ailleurs mon père ira ? Mais ceci est une autre histoire.

Je voudrais insister, en revenant sur l’usine de Pont à Mousson, sur la vigueur que devait déployer ces travailleurs au cours d’une journée.
Les horaires de travail étaient très variables, à toute heure du jour et de la nuit. A la fabrique de PAM, plusieurs milliers d’ouvriers provenaient de tous les villages environnants. Moyens de transport ? Les pieds uniquement. Ces pieds, chaussés de brodequins ferrés, cloutés, sur le sol durci par le gel de l’hiver, faisaient beaucoup de bruit et troublaient le sommeil des bourgeois de l’avenue Carnot (avenue Patton aujourd’hui).
Depuis mon village de Montauville, ces ouvriers devaient parcourir pas moins de quatre kilométres pour se rendre à l’usine. Des femmes étaient aussi employées dans cette usine, c’était souvent des veuves, qui n’avaient d’autre solution pour survivre. Certaines venaient de Norroy, à plus huit kilométres. La plupart travaillaient dans un atelier appelé « la filerie » : A partir de troncs de peupliers qui étaient défibrés, des cordes étaient fabriquées qui servaient à produire les noyaux pour la coulée des tuyaux et étaient enroulés à l’extrémité des dits tuyaux pour assurer dans de bonnes conditions le transport vers les clients.

Ces ouvriers et ouvrières des campagnes, après leur journée de travail d’usine, continuaient à travailler la terre et à façonner le bois de chauffage pour l’hiver : tout celà pour améliorer l’ordinaire. Abruti de travail, surmené par le dur labeur, le monde ouvrier travaillait jusqu’à l’usure totale : la retraite n’existait pas. Les plus robustes, qui avaient tant bien que mal, traversé et résisté à cette « épopée » formaient une minorité. Quantité de leurs camarades s’étaient arrêtés en cours de route.
Arrivés au stade de la vieillesse, il se trouvaient en condition pécunière difficile et étaient recueillis par leurs enfants (la loi leur en faisant obligation).

Pour ces ouvriers, sachant à peine lire et écrire, aucune perspective d’évolution sociale possible. Ils se retrouvaient à douze ans dans l’enfer industriel. La culture, l’art, la science … formaient un monde inconnu à leur yeux. Seuls les fils de la bourgeoisie pouvaient accéder aux études supérieures.
Leurs plaisirs ? Ceux ci se résumaient de temps à autre, à se rendre dans l’un des cinq « bistrots » du village pour boire une « chopote » comme ils disaient et surtout rechercher un peu de convivialité et réconfort, en attendant la fête du village à la sainte Marie Madeleine …

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