Un certain matin, ma mère m’ayant envoyé faire des courses à l’épicerie du village, je descendais la rue, insouciant et en sifflotant, muni de mon cabas. Apercevant une « cuvelle » * posée et empiétant sur la chaussée, je m’apprêtais à la contourner, quand soudain de cette cuvelle jaillit un monstre debout, ruisselant de sang, et poussant des hurlées épouvantables.
Pour une frayeur, ce fut une belle frayeur : je réalisais très vite que c’était un cochon. Mais je ne parvenais pas à comprendre cette situation insolite. Attirés par les hurlées, deux hommes sortirent de l’habitation voisine, ils bousculèrent la cuvelle, sortirent le cochon qui roula sur le sol, se jetèrent sur la bête et à l’aide d’un grand couteau, s’empressèrent par une plaie, déjà existante, de saigner le cochon, une deuxième fois. Un véritable massacre !
Ce qui s’était passé peut paraître anodin pour des gens endurcis, en l’occurrence le père Charles et son vieux père, mais moi, un enfant ! Ceux-ci avaient saigné le cochon, l’avaient mis dans la cuvelle et la besogne accomplie étaient allés boire la « goutte », (eau de vie de mirabelle).
Le cochon momentanément occis, s’était brusquement revigoré en l’absence des deux hommes et avait été la cause de ma grande frayeur.
Ceci est un souvenir vécu que l’on ne peut oublier.
* :La cuvelle est une sorte de grosse cuve en chêne ovale, longue (un cochon de cent trente kilos y tient parfaitement). Cette cuvelle sert pour deux usages, en premier pour les vignerons, montée sur les chariots, elle transportait les raisins. En second, elle servait à ébouillanter les cochons, pour pouvoir raser les soies plus facilement.
Un cadavre au plafond
Ce n’est pas le titre d’un roman d’Agatha Christie, mais bien d’un cadavre qu’il s’agissait : c’était celui de mon ami. Un ami que j’aimais beaucoup car je m’occupais de lui et le soignais. Cet ami, c’était … notre cochon qui répondait au nom de « TIA ». Il me connaissait bien, m’obéissait et lorsque je le grattais à la base du cou, il se couchait sur la paille de l’écurie et émettait des gloussements, des trémolos de contentement. Lorsque je paraissais dans l’écurie, il me faisait fête. « TIA » avait un appétit gargantuesque et grossissait rapidement : à onze mois, il pesait cent trente kilos.
Plus notre cochon grossissait, plus je m’inquiétais, car je connaissais trop bien l’issue tragique de sa vie. D’autres « TIA », les années précédentes avaient subi le même sort.
Un jour, rentrant de l’école, je compris que « TIA » était passé de vie à trépas. En effet, il était pendu sur une échelle adossée contre le mur de la remise, la tête en bas, le ventre complètement ouvert, les viscères enlevés. J’étais seul devant « TIA » (mon père et « l’assassin », la tâche infâme accomplie, étaient partis boire la goutte). Je l’appelais doucement. Bien sûr, il ne pouvait plus me répondre. Je pleurais, désemparé devant le cadavre de mon ami. Mes yeux évitaient de regarder l’assassin. Je ne le saluais même pas. Pauvre…TIA », il est parti au paradis des cochons, me consolais-je !
Le lendemain, « TIA » étant bien froid, « l’assassin » revenait et se mettait en demeure de le découper suivant une pratique bien établie. Ensuite, il était mis à la cave, dans un cercueil, pardon ! je voulais dire un saloir, pendant deux mois environ. Dernière phase, les morceaux de jambons, bandes de lard, saucisson, étaient mis à sécher, pendus au plafond. Plus tard, étouffant mes scrupules, lorsque je revenais de l’école, je tranchais dans les jambons et les saucissons de qualité supérieure. Je m’en délectais !
La troyotte
Quatre piquets métalliques étaient fichés dans le plafond. D’une longueur de 0,50 m, ils formaient un rectangle d’environ 1,60 m sur 1,00 m de largeur. Le bas de ces supports étaient pliés à l’équerre pour soutenir des lattes de bois qui s’entrecroisaient dans les deux sens. Sur ce lattage, reposaient les bandes de lard enveloppées dans du papier journal, ainsi que quatre jambons. Sous le lattage, étaient pendus les saucissons, en demi-arc de cercle. Finalement, toute cette présentation, formait un spectacle réconfortant, surtout en période de compression de budget.
Des pommes de terre en quantité à la cave, un cochon suspendu au plafond, nous avions de quoi voir venir !