Chez Marie Catherine POST, rue de la misère, à Montauville. D’après les souvenirs de son fils Eugène CANDEILLE, mon grand-père.
Les soirs de veillée étaient fixés, tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre. Elles n’étaient pas quotidiennes, car les gens écrasés de fatigue, se couchaient souvent tôt et de plus, il fallait « économiser la chandelle », qui en fait était une lampe à pétrole !
Ma mère choisissait souvent le mercredi soir, car le lendemain, nous n’allions pas à l’école.
Le soir, où la veillée était prévue, à l’heure dite, ma mère me dit: » Eugène, va chercher un broc d’eau ». Je redoutais ce commandement, car nous étions en hiver, il gelait très fort et la nuit était tombée depuis longtemps.
Nanti de mon espèce de cruche émaillée blanche, me voici dehors dans le noir obscur, sans clair de lune ! La bise soufflait dure. Ah ! qu’il était difficile d’affronter le froid et le noir, quand il faisait si bon près du fourneau.
La fontaine du lavoir se trouvait à environ deux cent mètres de notre maison, mais que d’embûches en perspectives (trous dans la chaussée, flaques de glace). Le plus dangereux étaient les chariots stationnés dans la rue et dont les limons ferrés pouvaient se révéler un piège dangereux, dont je garde d’ailleurs un très mauvais souvenir. Depuis, j’adoptais une tactique toute simple, mais efficace, pour éviter ces pièges: Je balançais devant moi le broc, comme l’aurait fait un aveugle avec sa canne blanche. Ma mère n’a jamais compris comment je pouvais écailler le broc en allant chercher de l’eau…
Après une marche hasardeuse, j’arrivais au lavoir où des chutes de glace descendaient de part et d’autre de la fontaine. Guidé par le bruit de la chute d’eau et après quelques belles glissades, j’arrivais à mettre le broc sous le coulant d’eau.
Soudain, j’entendis un bruit de serrure, de porte, qu’il me fut facile d’identifier, malgré l’opacité de la nuit; c’était ma tante Elodie, qui se rendait à notre veillée. Elle était la sœur de ma grand-mère maternelle et venait de Mamey. Elle avait épousé le père MARTIN de mon village et en était veuve. Sans visibilité, je la saluais. Surprise de s’entendre interpellée, elle me dit: » Ah! c’est toi Eugène, a t-on idée de chercher de l’eau à c’t heure ! tu vas te rompre les os ! ». Puis, refermant sa porte, elle se mit en route.
Je me souviendrais toujours du spectacle offert par tante Elodie, pendant sa marche nocturne: une nuée d’étincelles lui faisait un sillage lumineux; je ne songeais même plus à retirer mon broc qui débordait, je regardais, dans cette nuit noire, ces espèces de feux follets, voletant autour d’elle, dans une ambiance irréelle.
La Couvotte
Cette profusion d’étincelles venaient d’un récipient en fer que la tante portait à son bras et que je connaissais bien: c’était une sorte de seau, légèrement conique, avec une anse et sur le dessus duquel se trouvait deux petites portes mobiles, axées par une charnière. L’ensemble était percé de trous. L’utilisation de cette couvotte était fort simple, il suffisait de la remplir avec de la braise du fourneau, de la poser sur le sol puis d’y appuyer ses pieds pour se réchauffer pendant la veillée.
Dans la rue, la bise s’engouffrant par les trous de la couvotte, attisait les braises et provoquait cette nuée d’étincelles qui suivaient la porteuse de cette chaufferette rustique.